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PhytosEt si on séparaitle conseil de la vente ?

Le président de la République veut séparer le conseil et la vente pour les produits phytosanitaires. Certes, mais comment ? Agrodistribution a imaginédeux scénarios possibles, et pour étudier l'existant, a réalisé l'interview d'une coopérative de l'Est de la France, et une visite au Danemark.

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Rungis, le 11 octobre 2017. Sur fond d'étals de fruits et légumes, le président de la République s'adresse au monde agricole : « J'ai pris un engagement, c'est de séparer le conseil de la vente [...] La loi séparera la vente du conseil. » Une annonce qui n'est pas vraiment une surprise, le candidat Macron s'étant déjà positionné sur le sujet. En juillet, lors du lancement des Etats généraux de l'alimentation, la séparation était au nombre des propositions de la consultation publique en ligne. Séparer, oui, mais comment ? Filialiser ? Etablir une étanchéité totale ? A l'époque du discours d'Emmanuel Macron, il semble que la mesure était bien loin d'être définie dans les différents cabinets... Déjà, qu'entend-on par conseil ? Le rapport du CGAAER (Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux) du 15 mai 2014 évoque, en gros, quatre catégories : le conseil de sécurité (sur l'utilisation du produit), le conseil d'intervention (immédiat, à l'échelle de la parcelle), le conseil stratégique (élaboration d'itinéraires techniques, débouchés...) et le conseil de transition (réflexion stratégique, révision du système). Il est difficilement concevable aujourd'hui de séparer la vente du conseil produit pour les phytos. On parle donc des autres types de conseil.

Pallier l'échec d'Ecophyto

Derrière cette proposition, il s'agit bien d'actionner un nouveau levier pour diminuer l'impact et l'utilisation des produits phytosanitaires. Le passif étant l'échec d'Ecophyto, au vu des objectifs donnés en 2008, lors du Grenelle de l'environnement. L'idée de découpler conseil et vente pour les phytos ne date pas d'hier. Les ONG l'avaient portée en 2008, sans obtenir gain de cause. En 2013, dans un rapport sur le conseil sur l'utilisation des pesticides, le CGAAER s'était penché sur le sujet, évoquant « une fausse bonne idée », comme le résume le rapport Potier fin 2014. En estimant notamment que les entreprises ne sont pas génétiquement programmées pour accroître les ventes, que la séparation peut être contournée, ou encore que l'expérimentation va en pâtir. Début 2017, Ségolène Royal avait lancé une expérimentation sur le sujet, juste avant la fin de son mandat, qui est passée à la trappe avec le changement de gouvernement. En outre, l'agrément phytos, qui interdit de lier la rémunération du TC à la vente de phytos, est très peu connu : beaucoup pensent que cette pratique est en vigueur, en se référant notamment au rapport du Sénat de 2013 (Pesticides : vers le risque zéro) qui en fait état, à tort. Sans préjuger de son efficacité, l'atout (ou l'ennui, selon) de l'idée de séparer de façon radicale le conseil et la vente pour réduire les phytos, c'est qu'elle est simple à entendre. Difficile de ne pas suivre la logique « un conseiller vendeur va tenir compte de son intérêt commercial dans son conseil ». En pratique, une mise en oeuvre est plus compliquée et entraîne d'autres changements d'ampleur. Le postulat de départ, c'est de lutter contre les conflits d'intérêt. « Pour les structures faisant de la vente ou du conseil, les pesticides sont un enjeu économique majeur, générant un gros pourcentage du chiffre d'affaires, résume Amandine Lebreton à la FNH (Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme).

Lutter contre les conflits d'intérêt

Pour baisser la consommation, il faut un panel de mesures. Celle-ci en fait partie. » La séparation étanche est portée par les ONG, le conseil indépendant, et des syndicats agricoles comme la Fnab et la Confédération paysanne. La distribution agricole qui a compris qu'il fallait avancer, s'accorde sur une séparation, mais au sein de la même structure, arguant entre autres une démarche CEPP déjà lancée (lire encadré ci-contre). La FNSEA est méfiante, et l'industrie phytos, via l'UIPP, a annoncé qu'elle ne prendrait pas position. Quant aux chambres d'agriculture, le discours est très prudent. Même l'e-commerce se positionne, et ainsi Meshectares.com, qui vend des intrants (dont des phytos) en ligne, a essayé d'aménager son site en conséquence, avec des rubriques produits et informations différentes. Quel est le point de vue des agriculteurs ? Nous leur avons posé la question. Verdict, plus d'un tiers (38 %) jugent que le conseil du TC n'est pas indépendant de son intérêt commercial. Et un tiers (32 %) considèrent que la « séparation totale » serait la meilleure proposition. Des résultats à relier avec ceux de notre baromètre en page 18, où la moitié des agriculteurs pensent que les coopératives et négoces (acteurs par ailleurs les plus présents auprès des exploitants) sont les meilleurs partenaires pour les accompagner dans la réduction des phytos. Les trois quarts (76 %) trouvent que leur TC leur fait des propositions dans ce sens. « Cela veut dire que le conseil prend en compte cet objectif, majoritairement », juge Vincent Magdelaine, chez Coop de France. Pour Damien Mathon à la FC2A, « Près de 60 % pensent que le métier est réalisé en indépendance des intérêts commerciaux. C'est beaucoup et cela qualifie la rigueur des préconisations. Si on interroge n'importe quelle catégorie de Français sur l'indépendance commerciale de n'importe quelle société qui commercialise un produit, on n'obtiendrait sans doute pas ce genre de score. »

La profession se prépare

Coop de France et la FNA travaillent activement sur le sujet et vont faire des propositions au gouvernement. « Nous nous engagerons à une séparation des activités au sein de nos entreprises », pose Vincent Magdelaine, chez Coop de France. Au sein des entreprises, oui, mais pas question de franchir la ligne rouge d'une séparation étanche.

Pour analyser cette transition, nous avons passé à la moulinette deux scénarios : celui d'un découplage total (lire p. 34-35), et celui d'une séparation dans les entreprises (lire p. 32-33), basés sur des échanges avec plus de vingt interlocuteurs de tous horizons. Le deuxième scénario se découpe en sous-options : garder le même interlocuteur, avec deux lignes de facturation, comme l'a fait la coopérative Acolyance (lire p. 31), ou spécialiser les équipes, sans filialisation ou avec, comme chez Triskalia qui teste le concept (lire ci-contre). Hors de nos frontières, le Danemark est un bon exemple de conseil séparé de la vente (lire p. 36).

Le conseil en mutation

En France, le couperet législatif peut vite tomber : Emmanuel Macron l'a montré sur d'autres sujets, il ne lambine pas. Une ordonnance au premier semestre 2018 a été évoquée. Un timing à double tranchant, avec le risque d'aller trop vite et de voir des dispositions difficilement applicables ou peu ambitieuses. A l'heure où nous bouclons, les discussions se poursuivent dans les ministères. Au fond, reste la question : comment arriver à une réelle baisse de l'utilisation des produits phytos ? Le découplage, quel qu'il soit, aura-t-il un effet ? « On n'est pas dans un monde avec des bons (les indépendants de la vente de phytos) et des méchants, analyse Bertrand Omon, conseiller à la chambre d'agriculture de l'Eure. Il y a quand même une différence entre le métier de TC et vendre des cacahuètes. Le point à prendre en compte, c'est la dépendance au client. Il faut que tout le monde se sente concerné par la réduction des phytos, y compris les agriculteurs. Il faut créer de la dépendance à la réduction des phytos. » Au-delà, le débat concerne aussi l'évolution du conseil, pour aller vers un conseil stratégique et de transition avec, à la clé, des réductions de produits phytos conséquentes. Mais pour le coup, les leviers à mobiliser sont nombreux et pas simples. Comment rémunérer les économies de traitement ? Qui va payer ? Le consommateur ? Le sujet est vaste et bien plus large que « conseiller et vendre » ou « conseiller ou vendre ». « Je n'entrevois pas de réduction facile », reconnaît François Veillerette de l'ONG Générations futures. Comme le dit ce TC : « Celui qui a peur du changement, il est mal. »

MARION COISNE

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